ainsi 2
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Ainsi / 2
Ainsi, prendre un jour conscience que le jeune temps est derrière soi, et, comme franchissant un gué, tout le poids du corps fatigué et son angle mort – la tête - portant de l’autre côté du point de bascule, se demander quoi faire d’elles, ces compagnes d’armes et de solitude, je veux parler de ces agrégats de mots, de phrases et d’images qui se froncent et se défroncent dans mon encéphale : soleils et planètes nés d’effondrements successifs d’idées-masses conçues naguère dans l’éveil et la curiosité, mais frappés d’obsolescence, car enfantés dans le passé d’une langue qui n’est plus la langue d’usage (celle-là phagocytée par les mondes marchand et industriel) et qui forment des objets vagues, formidables, inutiles, de plus en plus flottants, s’effritant avec le temps, et qui collent, et qui adhérent, congruent, se délient, puis se lient de nouveau, au hasard, le plus souvent, non plus d’une pensée incisive et fraîche, mais de gazeuses rêveries, qui sont devenues mes façons misérables de résister tout en lâchant prise. Lorsqu’elles prennent la forme ectoplasmique de ces hommes et ces femmes que je n’ai jamais connus, mais qui, pour les avoir lus, naissent en moi presque en chair et en os, elles m’inspirent, ces compagnes, cette question douloureuse : les fréquenter encore, s’en faire un tombeau mental ou les effacer définitivement et revenir au jour éclatant, parmi ces hommes qu’aveugle la chimèrique réalité - avec, cette fois-ci logé au ventre, un point minuscule, autrement plus compact : le trou noir par lequel le corps s’aspire ?
(à suivre)
texte et images Jean-François Paillard © 2009