lachose 10

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Comme tout le monde à Camp Tonto, Jean-Luc Prieur a tout pour être un homme stressé : « Depuis mon transfert de l’URCM de Lepz (une filiale de retraitement des champs de la mort™ située en nouvelle Carinthie, ndlr) je suis surchargé de travail, concède-t-il. Et quand ce n'est pas le cas, je dois, comme tout salarié, lutter contre l'angoisse de ne plus en avoir ». La grande chance de cet ancien chef de projet chargé du contrôle qualité, aujourd’hui responsable de l’ensemble du service Eviscération du site, c'est qu'il peut s’auto diagnostiquer à temps : « Je sais que lorsqu’une activité ou un événement prend trop d’importance pour moi, le stress me guette », confie-t-il.

“On a cru à un coma éthylique”

Jean-Luc parle d’or. Un effort physique ou intellectuel concentré de façon prolongée sur un même objet, qui est d’accroître sans cesse et par tous les moyens le rendement de ‘la chose’ est immanquablement facteur de stress : « Le complexe physico-chimique d’un individu « polarisé » sur une seule activité finit en quelque sorte par « tétaniser » - exactement comme l’appareil musculaire d'un grimpeur bloqué depuis trop longtemps sur une paroi difficultueuse », explique notre consultant interne, le professeur Reginald S. Clock. L'erreur est alors de croire qu'en s’accordant un ‘lâcher prise’, le stress finira par s’envoler : « Passer de l'hyperactivité à l'inactivité totale et c'est la dégringolade assurée ! », met en garde Michel Lecerf, le Directeur des Ressources Humaines de Camp Tonto.
Une chute brutale de tension entre deux missions à haut challenge peut même s’avérer fatale. L’exemple de E., un ingénieur système trouvé inanimé dans la casemate NB 567 du site ouest du camp est à méditer : « On a cru d’abord à un simple coma éthylique, très courant dans ce secteur en fin de semaine », explique Jean-Pierre Boillon, le médecin du travail chargé de la supervision de la zone ouest. Le praticien a dû pourtant se rendre à l’évidence : « en opérant les palpations d’usage, j’ai compris que E. avait été victime d’une hémorragie cérébrale due à une hyperpression veineuse rétrograde provoquée par un écrasement thoraco-abdominal… »
Existe-t-il des moyens efficaces pour protéger les salariés contre les risques bien réels de chute et d’étouffement ? « Les doter de protections lourdes et encombrantes comme les gilets pare-balles, les kits « mains libres » et autres murs de briques s’avère aussi coûteux que contre-productif », répond Jean-Noël Toumieux, chef du contrôle de gestion de l’équipemen-tier Rambo-Pelage. Que l’on s’avise pour en être convaincu, que l’infortuné ingénieur système était équipé d’un ensemble casque-armure-coudières-tibias-gorgerin en polyéthylène haute densité, associé à un appareil respiratoire artificiel qui lui permettait de s’oxygéner à peu près normalement, même à l’air libre !

“un risque bien réel de piétinement”

Mais revenons à ce comportement de lâcher prise que le stress au travail induit si l’on n’y prend garde : « Par paresse, esprit routinier ou négligence, le salarié renonce souvent le matin à se préparer mentalement aux épreuves de la journée, déplore Jessica Kalhoum, responsable des ressources humaines de la division Gains de Camp Tonto. Cette règle de sécurité figure pourtant noir sur blanc dans la Charte d’entreprise du site : « …tant les occasions de sortie de route sont nombreuses », prévient Jessica Kalhoum. Elle nous en livre quelques-unes : « La glissade abrasive, lors d’une négociation commerciale particulièrement ardue ; le double tonneau provoqué par un lancement-produit mal budgété ; le choc frontal dû au rayonnement thermique occasionné par une mise à feu tardive d’un plan media… » Sans oublier le risque, toujours présent, de piétinement par les collègues : « …qui sont aussi des clients-rois et par là de solides concurrents… », analyse Jessica Khaloum. >>>

mardi 15 décembre 2009

Combattre

le stress

...par la récréation

La

chose

/ 10

Camp Tonto, le 25 décembre 2019, Photographie de Jean-François Paillard.

>>> Tous les praticiens interrogées se rejoignent sur un point fondamental : pour limiter les risques d’accidents susceptibles de mettre en échec l’ardente obligation d’accroître sans cesse et par tous les moyens le rendement de ‘la chose’, il faut… se dé-con-tra-cter ! Et pour se décontracter rien ne vaut l’attitude proactive consistant à multiplier les activités annexes : « Peu importe qu’elles soient intellectuelles ou physiques, l'essentiel est qu'elles n'aient absolument rien à voir avec l'activité principale de l’Homme™ au travail, qui est d’accroître sans cesse et par tous les moyens le rendement de ‘la chose’ », martèle Jean-Luc Prieur.

Une jolie demeure campagnarde

Histoire de "décompresser" entre deux rendez-vous commerciaux ou deux séances de torture mentale avec ses collègues, Jean-Luc Prieur n’hésite pas à chausser une paire de rollers et à s'accorder de brèves échappées sur le périmètre goudronné de Camp Tonto que la direction a concédé à son centre de profit. Mieux encore : propriétaire d'un accès client au jeu vidéo Pornoclash™ dans lequel il s’est bâti une jolie demeure campagnarde, le manager passe ses week-ends à débiter du bois, à cultiver ses plants de tomates ou à s’inquiéter de la bonne santé des cervidés qui peuplent ‘virtuel-lement’ la forêt avoisinante : « Ces échappées belles sont autant d’indispensables "récréations" qui éloignent les points de fixation professionnels sans bien sûr que ne s’efface à aucun moment de mon esprit l’objectif essentiel, qui est d’augmenter par tous les moyens possibles le rendement de ‘la chose’ », assure-t-il.
Sa dernière recommandation concerne l'entourage immédiat : « Le plus sûr moyen de ne pas ressasser en groupe ce que l'on remâche en solitaire, serait de choisir ses amis en dehors de son cercle professionnel », préconise-t-il. Las ! La direction de Camp Tonto interdisant tout contact extérieur au site, lui-même ne compte aucun ami de cette sorte. Heureusement, Jean-Luc est un Homme™ de ressources : il a su tisser des liens amicaux avec les créatures qu’il s’est achetées sur Pornoclash™. Herbert Blades, par exemple, le découvreur du Kevlar ou Alexandra Gladys, la poupée qui change de sexe comme de chemise (voir notre photo) ou encore Tom ‘Fatty’ Bubert, un impayable comique qui prend à volonté le visage, la voix et les idées d’un président de la République, d’un artiste international ou d’un poète contemporain : « grâce à ces gens qui savent faire rire, je vais passer un Noël et un Réveillon à tout casser », se félicite Jean-Luc. Avant d’ajouter avec une mine gourmande : «…et cela sans que ne soit jamais remise en question la mission fondamentale de l’Homme™ sur terre, qui est d’augmenter sans cesse et par tous les moyens possibles le rendement de ‘la chose’… » in Management Weekly, n° 3421, jan. 2041.

© Jean-François Paillard / 2009

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Lire les autres épisodes :
la chose 1 / Un jour...
la chose 2 / Mais qui?
la chose 3 / Ce que dit le poulet
la chose 4 / Je vous assure...
la chose 5 / Vivarium
la chose 6 / Serge F.
la chose 7 / Simplement un peu spécial
la chose 8 / L’effacement de R.
la chose 9 / La vérité sur le projet Phoenix

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