épisode 4


“ Ils pleuraient, ils disaient des choses aussi naïves que : vive la vie”


l’invention des congés payés (*)

Quelques

repères

chronologiques


1855


“Biarritz,

reine des plages

et plage des rois”


En France, le ‘tourisme’ balnéaire apparaît à la fin du XVIIIe siècle. De grandes stations, telles que Biarritz, Trouville ou Brighton (en Angleterre) voient le jour à la fin du XIXe. Mais ce type de séjour n'est encore réservé qu'à une minorité de nantis. Lancée avec la construction de la Villa Eugénie en 1855, Biarritz par exemple, attire toutes les familles de l’aristocratie européenne.


1903


Le TCF inaugure

la « Corniche d’or »


Se fixant comme objectif de développer le tourisme itinérant, le Touring Club de France (TCF) multiplie les bornes routières, panneaux de signalisation et autres bancs touristiques. Il est à l'origine de la construction de la première route littorale à destination purement touristique, le long des cotes de l'Esterel, la célèbre Corniche d'Or (Var). Inaugurée en 1903, la corniche fut classée « Nationale 7 » jusqu'en 1935.


1912


Naissance des

« grandes vacances d’été »


C’est un arrêté du 20 juillet 1912, qui scelle la naissance des vacances d’été. Passant de 4 à 8 semaines, elles s’échelonnent désormais de mi-juillet à mi-septembre (et non plus en octobre. Se multiplient les œuvres de bienfaisance, laïques ou religieuses, qui organisent pour les enfants des classes populaires les « colonies de vacances ». « Elles permettent aux enfants de réparer leur force en respirant à plein poumons le grand air des champs, pur et vivifiant », nous apprend un rapport de 1918 de l’Oeuvre des Trois semaines, qui pratique le placement familial à la campagne.


1929


Marc Sangnier crée

les “Auberges de Jeunesse.”


Journaliste au Sillon, organe du mouvement pour un christianisme démocratique et social, Marc Sangnier (1873-1950) ouvre la première Auberge de jeunesse en France. Baptisée l’Épi d’Or, elle est construite en 1929 à Bierville (Essonne). L’année suivante est fondée à son initiative la Ligue Française pour les Auberges de la Jeunesse. La même année, la CGT, le Syndicat national des instituteurs et la Fédération générale de l’enseignement créent le Centre laïque des Auberges de la jeunesse.


1936


Les premiers cong’ pay’


La Loi sur les congés payés est votée à la Chambre le 11 juin 1936 par 563 voix contre... une ! 560 000 billets de train «Léo Lagrange» (du nom du secrétaire d’État des Loisirs et des Sports du Front Populaire), à tarif réduit sont vendus. Les « trains de congés payés » seront 600 000 en 1936, 1 800 000 l’année suivante. La « marée rouge », ainsi appelée par la bourgeoisie de la côte d’Azur à cause de ses origines politico-syndicales envahit les plages.


1938


Le lancement de la revue Camping par le Touring Club de France et la création de l’Union Française des associations de Camping (UFAC) inaugure l’ère du tourisme de masse.


Années 40


L’époque voit se développer les Maisons de la culture, Ciné Liberté, les associations sportives (Fédération sportive et gymnique du travail) et de plein air (cyclotourisme, camping, Auberges de la jeunesse, gîtes ruraux, aviation populaire). PuiS les chantiers de jeunesse de Pétain...


1945


Les Guides Michelin deviennent « Guides Vert ».


Depuis 1904, Michelin publie des guides touristiques régionaux, destinés aux vacanciers bourgeois et érudits, les Guides Rouges. Orienté vers un plus large public, signalant le « pittoresque » du parcours par les abréviations « pitt » ou « tr. pitt. », le nouveau Guide Vert se présente comme le « vade-mecum de l’automobiliste ». Plus passionné par la route que par les églises et musées, ce dernier est en effet devenu un acteur incontournable de la mdernité.


Années 50


Fernand Léger met en scène les loisirs populaires dans La Partie de campagne (1954), en passant par Les Deux Cyclistes (1951) et Les Campeurs (1954), dont beaucoup de détails semblent appartenir aux souvenirs des congés payés de l’avant-guerre.



1950


Création du Club méd’


En 1950, Gérard Blitz imagine un autre monde, avec ses chefs- animateurs (les Gentils Organisateurs), ses membres (les Gentils Membres), ses rituels... Les villages qu'il crée avec Gilbert Trigano - d'abord à Alcuidiia aux Baléares, puis en Italie et en Grèce - sont pour lui le lieu de réconciliation de l'homme avec lui-même : "Nous sommes branchés sur la libération intérieure de l'homme, explique-t-il. Et nous utilisons ce douzième mois où il n'est pas pris dans l'engrenage des mécanismes, pour lui donner accès à sa véritable nature. Chouette ! Le prix du séjour pour 15 jours, voyage compris s’élève à l’époque à 15 900 FF. (correspond à 159 FF d'aujourd'hui).


1955


Les usines Renault montrent une première fois la voie. C’est leur président, Pierre Le Faucheux qui est à l’initiative de la 3e semaine de congés payés.


1956


La mesure est ensuite généralisée par le socialiste Guy Mollet.  (Le congé annuel payé est porté de 12 à 18 jours) dans un climat de montée des dépenses militaires en Algérie et le déficit budgétaire. Quarante ans plus tard, Edmond Maire déclare : « En se plaçant dans la lignée de Léon Blum, Guy Mollet, le chef socialiste, montre qu’il est fidèle à la tradition de la gauche. Mais ce geste politique servait aussi à masquer sa décision de mener la guerre d’Algérie ».


Charles Trenet chante la route « Nationale 7 ».


On mesure moins aujourd’hui la dimension ironique de la chanson, inspirée par les embouteillages homériques sur cette « route des vacances », la plus empruntée de France, à l’époque pour aller de Paris à Menton.

De 1950 à 1955, les déplacements de vacanciers effectués en automobile ont doublé ! Tuée par l’autoroute, la RN7 est aujourd’hui l’ombre d’elle-même : en juillet 2005, le ministre des transports, Dominique Perben a décidé de transférer dix-huit mille kilomètres de routes nationales aux départements. Depuis le 1er janvier 2006, dans la Nièvre et à partir d’Avignon, la célèbre Nationale 7 n’est plus qu’une simple départementale. Il faudrait parler de la transformation du réseau routier en France, mais ce sera pour une autre fois...


...suite dans la colonne de gauche.

Quelques

chiffres



Statistiques de l’INSEE sur les taux de départs en vacances d’été en fonction des catégories professionnelles, :


40 % des ouvriers sont partis en 1965 ;

49 %, en 1975 ; 55 % en 1976.


Le développement des vacances d’hiver (2 % des Français en 1969) apparaît avec la quatrième semaine de congés payés (1969).


Enquête INSEE sur les vacances (2001) :

"Chaque année, quatre Français sur dix ne partent pas en vacances. Après des décennies de croissance régulière, la proportion de ceux qui partent en vacances stagne depuis le début des années quatre-vingt-dix. Parmi ceux qui ne partent pas, quatre sur cinq n’ont pas pris de vacances en raison de contraintes (financières principalement, mais aussi familiales, professionnelles, de santé ou autres) et non par choix.


Aujourd'hui, six Français sur dix partent au moins une fois dans l'année, 4/10 partent une deuxième fois en hiver, 3/10 partent plus de trois fois.


La durée moyenne des vacances d'été se réduit à douze jours.


Ce fractionnement des congés traduit aussi l'évolution des rythmes de travail : on part plusieurs fois parce qu'on ne peut plus tenir toute une année avec la pression du bureau.

Quelques

citations


...pénétrantes,

tragiques

ou cocasses.


« Je ne suis pas sorti souvent de mon ministère, mais chaque fois que j’ai traversé la grande banlieue parisienne et que j’ai vu ces routes couvertes de tacots, de motos et de tandems avec ces couples d’ouvriers vêtus de pull-over assortis, j’ai eu le sentiment que j’avais malgré tout apporté une embellie, une éclaircie dans ces vies difficiles et obscures. On ne les avait pas seulement arrachés au cabaret, on leur avait ouvert une perspective d’avenir, on avait créé chez eux un espoir. » Léon Blum, au procès de Riom du 19 février 1942, instrumentalisé par Vichy, l’accusant d’avoir perverti les travailleurs en faisant voter la loi sur les congés payés.


Edmond Maire : « A la fin des années 50, avec le goût du confort et le souci de brasser des populations de classes sociales différentes, les VVF ont été créés en réaction contre les maisons familiales et les auberges de jeunesse, qui étaient très frustes ».


Jacques Calvet, ancien patron de Peugeot : « Dans les années soixante, on est passé du droit au repos au droit aux vacances ».



Pierre Mauroy : « Quand on part en vacances en France, on part deux semaines avec Blum, la troisième semaine avec Guy Mollet, la quatrième avec le général De Gaulle et la 5e avec François Mitterrand et Pierre Mauroy… ».


Edmond Maire : « Qui parle encore de congés payés ? Aujourd’hui, on parle de capital temps, d’aménagement du temps de travail... »


Gilbert Trigano : « je crois que dans les années qui viennent, on va inventer dix, vingt, trente façons de prendre des vacances »


Didier Daeninckx : "Cette immersion a mis à mal certaines certitudes et m’a fait découvrir des dizaines de faits surprenants. La présence de l’un des derniers communards, dans une manifestation et cette expression « Salut les copains » que l’on croit née sur Europe n°1 dans les années soixante, et qui résonnait en fait dans les auberges de jeunesse, comme signe de ralliement...”


Antoine Prost : " Avant 36, les employés (de banque, de commerce, de bureau) qui étaient mensualisés bénéficiaient de congés. Il n’en allait pas de même pour les ouvriers, dont la paie tombait tous les quinze jours et qui étaient payés à l’heure (ils le resteront longtemps, du reste, puisque la généralisation de la mensualisation est une conquête de 1968). De fait, le paiement à l’heure conduit à penser que si l’on ne travaille pas, on n’est pas payé. À l’époque, l’idée d’ " être payé à ne rien faire " est incroyable, paradoxale. On peut considérer, de ce point de vue, que le Front populaire est davantage une conquête de temps que de salaire, parce qu’avec les 40 heures et les congés payés, c’est le temps qui est à l’ordre du jour - le temps soustrait aux chronométreurs. "

A lire,

à voir.


André Rauch Vacances en France de 1830 à nos jours, Hachette Pluriel,2001


15 jours en août, l’embellie, Documentaire de François PORCILE (1996). Durée 51’30’’. Coproduction France 3 nord Pas-de-Calais Picardie / Les Productions Cercle Bleu.


Les congés payés, 1996, 52 mn, France, couleur Réalisateur : Philippe Kohly auteurs Olivier Duhamel et Jean-Noël Jeanneney  Production : Cinétévé – La Cinquième

Quelques

repères

chronologiques

(suite)


1962.


Après la fin du conflit Algérien, au début de la cinquième république vient la 4e semaine de congés payés. Renault, vitrine sociale est une fois de plus à l’avant-garde. C’est son président Pierre Dreyfus qui prend la décision d’étendre cette mesure à l’ensemble des salariés sans même que le gouvernement soit prévenu, ce qui ne va pas sans grincements de dents. Le mouvement est irréversible et Georges Pompidou généralise la mesure à la France entière.

Plus de 20 millions de Français partent en vacances. C’est le temps d’une concentration moutonnière au mois d’août sur les plages.

Par réaction, les nouvelles générations regardent ailleurs. Vient alors le temps des clubs qui offrent aux vacanciers la possibilité de vivre hors du temps et de l’argent en imitant la vie sauvage… Dans l’abondance, évidemment.




1967


La Grande-Motte, symbole

des congés d’été à la mode béton.


C’est en 1967 que l’architecte Jean Balladur, inaugure les premières pyramides de la Grande-Motte, aux côtés de Raymond Marcellin, alors Ministre du Plan et de l'Aménagement du Territoire. En juillet 1968, la ville ne compte encore que 700 habitants. Les premiers vacanciers s'installent dans la pyramide "Le Provence" encore inachevée. Cinq ans plus tard, ils seront 20 000 à fréquenter ses plages. Aujourd’hui, la Grande-Motte compte 7000 habitants l’hiver et plus de 120 000 l’été.


1969


Lancement du projet Val-Thorens,

“plus haute station d’Europe”


Le 17 mai 1969, le président Pompidou promulgue la loi sur la quatrième semaine de congés payés. Que faire de cette semaine supplémentaire ? Partir au ski ! se disent de plus en plus de cadres d’entreprise, séduits par les formules de multipropriétés proposées par les promoteurs. 1969 est justement l’année du lancement du premier projet de station totalement artificielle, celui de Val-Thorens. En 5 ans, de 1969 à 1972, près de 25000 lits seront construits à 2300 mètres d’altitude…



1972


Premier guide du Routard.


De retour d’Inde, Philippe Gloaguen crée le guide Routard, incarnation de l'esprit soixante-huitard. En trois décennies, l'ancien bréviaire des babas cool révolutionnera une certaine approche du voyage, loin des «voyages organisés» et autres «complexes touristiques». Aujourd'hui, un guide touristique sur trois vendus en France est un Routard. Soit 2,5 millions d'exemplaires par an.


1981


5e semaine de congès


Avec le retour en 1981 de la gauche au pouvoir, « changer la vie » redevient le mot d’ordre de la génération Mitterrand. Le Front Populaire redevient une référence : dans le gouvernement Mauroy est créé un ministère du temps libre. Pierre Mauroy : « Dès que je suis arrivé au pouvoir, j’ai voulu créer la 5e semaine » Viendront ensuite les 35 heures et les fameuses RTT, qui fragmenteront les vacances...