prclockparledecrise
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Ciel ! le pr. Clock parle en moi !
Nous avons tous un professeur Clock en nous, il ne tient qu’à nous de le faire parler.
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Question de crise / 1
En écoutant, il y a quelques jours à la radio hexagonale, la relation d’un discours d’un sempiternel président de la République française faite par l’un de ses sempiternels commentateurs, il m’est venu, comme par réaction (que les président et consort en soient remerciés) une réflexion que je n’ai pas cessé de remuer dans mon crâne depuis. Cette réflexion est de celles qui appartiennent au professeur Clock. J’appelle « question ou réflexion appartenant au professeur Clock » toute question ou réflexion mal emboîtée qui, parcourant en flashs insistants ma jungle synaptique, et, bien qu’elle ne soit liée ni de près ni de loin à l’existence d’un président de la République française et à celle de ses commentateurs, entretient un rapport intime avec la notion d’existence et son nécessaire commentaire – en d’autres termes, toute question ou réflexion éminemment littéraire, qui, si elle n’était expectorée de vive façon par tous mes orifices, me rendrait malade, agité de soubresauts drolatiques et lépreux d’idées par trop grande abondance de bile noire, et pour finir fou à lier. Bref. Le professeur-Clock-que-j’ai-en-moi, appelons-le ainsi voulez-vous, me disait ceci : « Saviez-vous, cher Jean-François Paillard, que nous vivons la plus grande phase de dépression économique depuis 1929 ? » Comme je ne répondais pas, le professeur-Clock-que-j’ai-en-moi insista : « Oh! tu m’écoutes, imbécile ? Sais-tu cela ? » Je finis par répondre : « Oui, je sais cela professeur-Clock-que-j’ai-en-moi, mais de grâce ne m’appelez pas imbécile devant les lecteurs... » « J’y veillerai si vous m’écoutez », me prévint le professeur-Clock-que-j’ai-en-moi. « Mais dites-moi, qu’est-ce qui vous fait dire que vous savez cela ? », ajouta le têtu résident de ma tête. Sur quoi je répondis : « Parce qu’on ne cesse de me le seriner toute la journée. » « Bien..., me dit alors le professeur-Clock-que-j’ai-en-moi, avec ce ton de fausse condescendance, mêlée de componction qui a toujours été le sien depuis que cet assommant bavard, s’enorgueillissant de quelque passage, pourtant éclair et mal digéré, à la Sorbonne, au Panthéon ou rue Saint-Guillaume, a élu domicile dans mon pauvre crâne. Cette réponse d’hébété me prouve que tu ne sais rien. Je vais donc t’expliquer pourquoi cette crise n'est pas un mirage, et t’en détailler point par point les causes profondes... » Levant un doigt insupportablement professoral, l’horripilante apparition me dit alors ceci: « Apprenez, mon ignorant ami, que la crise actuelle est née de deux causes profondes. La première tient au « plafonnement » des économies de marché occidentales. Il faut vous dire en effet que nous sommes arrivés à un point de nos économies industrielles avancées où l’état de la technologie, le niveau d’équipement des ménages, les taux de consommation et d’investissement de l'Homme et de ses entreprises atteignent leurs limites extrêmes. Voyez-vous, cher Jean-François Paillard, il ne fait plus aucun doute pour mes collègues et moi-même, que les taux de progression des « PIB » des pays dits “riches” n’atteindront à l’avenir pas plus de 1 à 2 %. D’où, par déduction logique, et compte tenu de l’évolution positive de la population, l’existence, indubitable, irréfutable, irréfragable, dans nos pays bien habillés autant qu’appareillés de pied en cap, d’une valeur ajoutée de moins en moins conséquente à partager entre tous. Vous me suivez jusqu’ici ?… » Je n’eus pas le temps de répondre ni d’ailleurs de relire ce que cet incorrigible bavard me soufflait à l’oreille : « Connaissez-vous l’extraordinaire phénomène catastrophique qui eut lieu dans le même temps ? », claironna-t-il soudain, dans l’évident dessein d’exciter la cartographie de mes neurones, par surprise et effarement conjugués, car mon esprit s’accaparait d’autres urgences, celle notamment consistant à me demander si je ne me fourvoyais pas en écrivant à toute allure ce texte terriblement bâtard. « Vous ne le connaissez pas ? » s’indignait le professeur-Clock-que-j’ai-en-moi, indifférent aux flots postillonnesques dont il maculait mon pyjama de kabuki-mono, une altière vêture dont je me pare depuis quelque temps, et qui porte au dos, finement brodée de fil rouge, la figure d’un dragon cracheur de feu. « Apprenez que dans le même temps, poursuivait le professeur-Clock-que-j’ai-en-moi, le partage de ladite valeur ajoutée est devenu profondément inéquitable. Je dirais même inique. Car, qu’ont fait nos économies avancées depuis bientôt vingt ans ? hurla-t-il, ses longs bras s’encoublant dans une gestuelle emphatique et compliquée. Eh bien! Je vais vous le dire. Selon un procès implacable, plus véridique lettre volée que celle qui mit tant Lacan naguère en langue et qui tient principalement de l’apparition insidieuse, au cours des années 1980, à la vue de tous, et pourtant à l’insu de tous, et d’abord des observateurs soi-disant les plus avisés, alors qu'ils n’étaient que des escamoteurs de foire, l’apparition dis-je, de nouveaux types de régulations des entreprises, via l’émergence, importée d’Amérique, du contrôle de gestion, lui-même rendu possible par la généralisation de l’usage d’outils de gestion informatisés, eux-mêmes fonctionnant selon la logique de nouvelles normes comptables internationales, ces dernières favorisant l’avènement planétaire, doublé du triomphe absolu sur toute autre modalité de gestion d’entreprise, de la ‘gouvernance‘ d’actionnariat, pouah ! mot bâtard importé au même moment d’outre-atlantique, comme ceux de ‘manager’, d’’incentive’ ou de ‘business unit’, avec l’assentiment muet, béat, hypnotique et quasi-cataleptique, de tous, gauche et droite confondues, gauche-droite comprise, droite-gauche itou, un deux, un deux, politiqueurs, chanteurs et chanteuses dans le même sac, architecteurs, journalisteurs, danseurs, photographes, baliverneurs, je-ne-veux-voir-qu’une-têteurs, artistes et commentateurs et cabareteurs et poèteurs et gestionnaires et comptables et professeurs et sciences poteurs, tous entassés dans le même haut-de-forme d’illusionniste, tous mettant chapeau bas, marchant en ordre serré, dans la même direction, avec, comme hommes de base réglant le pas de la section, le corps des sous-off experts ès idéologues d’écoles sup’ de commerce : manières de nouvelles Sorbonne-pompe-à-fric devenues Eldorado pour fils à papa, et filles à papa n’oublions pas, protestation d’égalité libérale-libertaire de client-roi oblige, tous ces gamins à face de tiroir caisse, devenus par voie de mode ambitieux futurs faiseurs de fric, tous solidaires, main dans la main, sourire aux lèvres, dents serrées sur mâchoire comprimée, le partage du gâteau se faisant en dernière instance au… » page suivante (à suivre demain) (c)JF Paillard 2008.
jeudi 19 mars 2009