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Lectures d’enfance

En 2007, un des rédacteurs du Dictionnaire du roman populaire francophone m’avait demandé de rédiger un texte sur la façon dont le roman populaire avait pu influencer mon travail. Voici la réponse que j’avais envoyée. Elle n’a pas grand intérêt, je vous l’accorde. Sa reproduction ici n’a en vérité d’autre but que d’essayer de tisser un lien de connivence avec vous, qui avez, j’en suis sûr, partagé quelques-unes des lectures que j’évoque succinctement dans ce texte... JFP.
“Pardonnez ma réponse tardive, mais j'étais en voyage. Un article sur l'envie d'écrire liée à la lecture de romans populaires pendant l’enfance ? Pourquoi pas ? Les romans policiers de la collection de Poche (ceux de Gaston Leroux, Maurice Leblanc ou Conan Doyle, avec une mention particulière pour les Études en rouge et Le chien des Baskerville...),  les romans de la bibliothèque rose ou verte de chez Hachette (ceux de Jules Verne, piqués dans la vaste et éclectique bibliothèque de mon père, mais aussi les récits  du ‘clan des 7’, du ‘club des 5’ et d’‘Angelot’, ce dernier écrit par un mystérieux ‘Lieutenant x’, auxquels s’adjoignaient  des chefs d'œuvre comme Le dernier des mohicans, L'appel de la forêt, Croc blanc, Les trois mousquetaires, Vingt ans après etc.), les romans de la collection "Signe de piste" (Le bracelet de vermeil, La bande des hayaks, Le Prince Éric de Serge Dalens) enluminés par les dessins de Pierre Joubert, sans oublier les romans d'horreur (ceux-là m'ont particulièrement frappé, j'en ai lu un grand nombre à onze ans, initié à l’époque par un copain de cinquième - d’ailleurs cela m'intéresserait de rechercher les titres qui m'avaient tant passionné ou de puiser l’info dans votre dictionnaire : peut-être y avait-il le Tour d'écrou de Henri James, très certainement La nuit de Walpurgis de Meyrink et le Frankenstein de Shelley, mais aussi des nouvelles de vampires, de vengeances par nuit noire et grand vent aux confins des Carpates, de mains coupées qui sortent de coffres théoriquement vides… Bref, d’excellents textes qui nous faisaient bien frissonner, mon copain et moi – textes au demeurant remarquablement traduits, tous publiés chez un éditeur impeccablement populaire : Marabout), sans oublier la science-fiction (Jules Verne, ai-je dit, mais aussi les titres de la collection "Anticipation" du Fleuve Noir, parmi lesquels se dégage nettement du désert ensablé de ma mémoire OMS en série, dont Topor s'est inspiré par la suite pour son dessin animé "La Planète Sauvage" - Topor qui a d'ailleurs collaboré à la revue mythique "Fiction" que j’ai découverte plus tard chez les bouquinistes, aux côtés de “Planète”, de “Mystère Magazine” et des romans de la “série noire”, que j’ai collectionnés plus tard encore, dans les années 1980, tout spécialement ceux de J.H. Chase, dont j’ai lu des dizaines de titres, parmi lesquels Éva, que je tiens pour un chef d’oeuvre) m'ont réellement inspiré, et poussé à écrire (il faut bien avouer qu’à dix ans, mon travail de création se résumait à recopier mes dessinateurs préférés, à composer des poèmes rimbaldiens pouette pouette et à manipuler pendant des heures des figurines en plastique), avec d'ailleurs, au même moment, la découverte de la bande dessinée (“PIF”, “Spirou”, “ Tintin” et “Pilote” : quatre portes ouvertes sur les univers d’Hugo Pratt, Franquin, Hergé, Giraud et de tant d’autres génies : Charlier, Goscinny, Greg.... ; avec plus tard “ A suivre ”, qui m’a fait découvert Forest, Tardi et Manchette, dont j’ai alors dévoré les romans, et “ Metal Hurlant ” ou Moebius-Giraud à pu donner toute son ampleur, notamment dans le Garage Hermétique du Major Fatal, récit-fondateur de toute une lignée de romans graphiques), le cinéma (westerns, polars et films de guerre, avec aux manettes Ford, Hawks ou Huston) et les livres illustrés et encyclopédies populaires ("Tout l'univers", "Je sais Tout", “ l’album des jeunes ”), qui me paraissent liés indéniablement à mon imaginaire d’enfant qui battait la campagne à Beynes, Yvelines, entre 1970 et 1973... Ce qui est drôle, c'est qu'au milieu de tout cela surnageaient des lectures dites “ sérieuses ”, que je ne distinguais pas du tout du lot : celles de Malraux (L'espoir, La voie royale, La condition humaine), d’Hemingway bien sûr, de Baudelaire, d’Edgar Poe (lu d'abord en extraits, dans certains numéros magnifiquement illustrés du “ Reader's digest ” – dont le puits et le pendule, l’intégrale du maître de Boston avalée ensuite dans une vieille édition d'œuvres complètes éditée chez “Gibert Jeune”, que j'ai gardée depuis), les poèmes de Rimbaud, de Michaux (découvert dans le “ Lagarde et Michard ”), les textes de Cendrars : je lisais tout cela comme de purs récits fantastiques, de guerre ou d'aventures. D'ailleurs je me souviens que Cendrars (était-ce dans La main coupée ou l’homme foudroyé ?) m'a introduit à l'époque à Gustave le Rouge. Quant à Kafka, je le lisais comme un récit d'horreur et d’étrange classique, à la façon d’un Jean Ray-John Flanders - non dénué de poésie et d'humour d’ailleurs. J’ajoute aux lectures-choc de Last Exit to Brooklyn de Selby (dont j’ai conservé l’édition originale sortie en 1970 chez Albin Michel), celles de 1984 d'Orwell et de Farenheit 451 de Bradbury, de même que quelques récits de Balzac ou Le journal d'une femme de chambre d’Octave Mirbeau, que j'ai lus par hasard au même moment. Je prends conscience en disant cela que ces lectures d’enfance (entre neuf et douze ans) étaient en grande partie hors programme scolaire, stigmatisées en quelque sorte, les unes parce que jugées populaires ou d'un "genre inférieur", les autres parce que considérées comme scandaleuses ou sulfureuses. Moi, je mettais toutes ces formes littéraires dans le même sac. À raison, bien sûr. Mais ça, je l’ai su plus tard, lorsque je me suis débarrassé de cette couche de préjugés dont on m’avait barbouillé consciencieusement l’esprit pendant toute ma scolarité. J’ai alors découvert que le roman dit populaire est à l'oeuvre, en sous-texte fondateur, dans la plupart des écritures dites « savantes » ou « sérieuses ». C'est de notoriété publique, mais j'ai par exemple pris conscience par la suite combien Camus et Sartre avaient été influencés dans leur écriture romanesque par les histoires de Simenon ou par les hard boiled américains, qu’ils dévoraient. Combien l’Echenoz première manière (celle des vrais faux récits : course-poursuite, science-fiction et polar de bazar) ne “tient” que parce qu’il plagie amoureusement la littérature de genre. Le plaisir extrême que j'ai eu à lire Proust à l’âge adulte (ces lieux, gestes ou silhouettes comme vus d’en bas, ces mots, ces musiques comme parvenant étouffés, de derrière une tenture, en écho ou rêvés…), Robbe-grillet (Le voyeur, Dans le labyrinthe et Les gommes : mystère et boulle de gomme), Thomas Mann (son fascinant docteur Faustus), Gracq (Le rivage des syrtes : art madré du récit d'aventure qui ne décolle jamais) ou Michaux (ses bestiaires fantastiques, son côté faussement encyclopédique, son "Plume"...) est directement lié à cette impression étrange, qu’entre moi et ces auteurs dits “sérieux”, se créait par un lien subtil qui remonterait aux souvenirs flous, aux lectures rêveuses d’un âge d’or à jamais révolu, comme  une connivence d’enfant qui ne se délierait jamais... Non-dit, non-lieu... Il y a dans cet inavouable-là, quelque chose du Grand Secret dont parle Michaux. Tous ces textes exsudent, et j'aimerais le dire dans l'article en question, un parfum trouble de fantastique, d’aventures plus ou moins fantasmées, de pacte que tout enfant rétif et rêveur - “contemplatif” pontifient les adultes, fait en secret avec le diable : “ il n'est point de véritable œuvre d'art où n'entre la collaboration du démon ”, disait je ne sais plus qui (comme j’aimerais que ce fût Walter Benjamin, grand amateur de livres d’enfance et dont je sais que sa façon de lire enfant était la mienne, révérence gardée). J’ai par la suite lu avec profit des auteurs à succès, comme Maupassant ou Aragon, par exemple. Mais peut-on considérer qu’ils relèvent d’une littérature dite “ populaire ” ? Même interrogation s’agissant d’auteurs « travaillant » le langage populaire ou issus du peuple, comme Carver (dont je pressens sur son écriture, mais peut-être me trompé-je, l’influence non seulement de tchekhov, mais aussi celle, behaviouriste, du polar noir, sans oublier l’ombre du trop méconnu Sherwood Anderson et son impeccable Winesburg Ohio…), Céline, Raymond Guérin (et son formidable Les Poulpes, sans oublier le début magistral de l’Apprenti, où l’auteur n’hésite pas à se présenter se pognant devant la glace – jolie accroche pour un texte qui aurait pour sujet l’autofiction, non ?) ou encore les deux Georges : Hyvernaud et Perros. Mais je m’égare. Aux universitaires de trancher la question. Je leur adresse au passage un grand coup de chapeau s’ils parviennent à trouver le fil rouge qui relie sous le mystérieux vocable de “ littérature populaire ” les auteurs et ouvrages que j’ai cités, auxquels j’ajoute pour la route : Sans Famille de Malot, Les Revanches de l’Amour de Bell, Fumée d’Opium de Farrère, Round Végétal de Rayjean, Aronde de Segrais, La saison des loups de Clavel. Et pendant que j’y suis : Daninos, Leduc, Laurent, Exbrayat, Vercors, Sue, Peyrefitte, Christie, Notomb, Guy des Cars, Billy ou Bernède. Et à leur suite d’innombrables petits et grands maîtres, tâcherons, génies ou plagiaires… Bon, j’abrège. Qu’en pensez-vous, si je mets tout ça au propre ? À bientôt et merci d’avoir pensé à moi !” (c) Jean-François Paillard - 2007http://pagesperso-orange.fr/lebrunf9/bd/bverte/http://pagesperso-orange.fr/lebrunf9/bd/bverte/http://signedepiste.fr/http://www.ebooksgratuits.com/pdf/james_tour_ecrou.pdfhttp://livres.fluctuat.net/gustav-meyrink/livres/la-nuit-de-walpurgis/http://bibliooggy.canalblog.com/albums/ma_collection_bibliotheque_marabout/http://www.zenandco.fr/fleuve-noir-anticipation/collection.aspx?p=chttp://www.zenandco.fr/fleuve-noir-anticipation/collection.aspx?p=chttp://www.noosfere.com/heberg/jeanray/fiction.htmhttp://livepage.apple.com/http://www.noosfere.com/heberg/jeanray/eqmm.htmhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Garage_herm%C3%A9tiquehttp://fr.wikisource.org/wiki/Le_Puits_et_le_pendulehttp://mletourneux.free.fr/auteurs/france/lerouge/LeRouge.htmlhttp://mletourneux.free.fr/auteurs/france/lerouge/LeRouge.htmlhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Ray#sous_le_nom_de_John_Flandersshapeimage_3_link_0shapeimage_3_link_1shapeimage_3_link_2shapeimage_3_link_3shapeimage_3_link_4shapeimage_3_link_5shapeimage_3_link_6shapeimage_3_link_7shapeimage_3_link_8shapeimage_3_link_9shapeimage_3_link_10shapeimage_3_link_11shapeimage_3_link_12shapeimage_3_link_13shapeimage_3_link_14shapeimage_3_link_15

mardi 5 mai 2009

 
 

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