etrangeliberte
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Lisez-cela.
Lisez d’abord par la tête, puis par votre œil gauche, puis par votre sexe, puis par votre cœur, enfin par votre main.
Lisez cela par une partie de vous même, un organe de votre corps, votre bouche qui s’ouvre, votre cuisse comme en réptation.
Lisez cela comme un frottement, comme l’idée d’un frottement.
Lisez cela comme un contact furtif.
Lisez cela comme on lèche une main.
Lisez cela comme on désire un carré de chair.
Lisez cela comme une tentative de remédier au péché originel.
Lisez cela en sachant que le sexe et la mort ne sont une nécessité que pour les organismes pluricellulaires.
Lisez cela en refusant de croire à l’idée que le sexe et la mort sont un remède créé par un Dieu qui a créé l’homme bon.
Lisez cela en pensant au sadique qui tire sa jouissance de ne pas frapper le masochiste.
Lisez cela en pensant que l’indifférence est un poison à mort lente.
Lisez cela en pensant au poisson, mort dans l’indifférence.
Lisez cela en n’oubliant pas que la bactérie et le protiste sont des êtres immortels.
Lisez cela en pensant combien toute mort est accidentelle.
Lisez cela en soupçonnant que vous allez mourir sans jamais ressentir une quelconque participation de votre corps à la totalité de la création.
Lisez cela en vous efforçant de ne pas ressentir, Madame, un quelconque respect pour la création.
Lisez cela en vous efforçant de ressentir, Monsieur, une compassion et une écoute profonde envers les créatures de l’univers.
Lisez cela en étant tout à la fois actif et passif.
Lisez cela en écoutant votre coeur battre.
Lisez cela en sachant que tout acte est à la fois actif et passif.
Lisez cela en sachant que tout homme debout se rêve accroupi.
Lisez cela en sachant que lire est un acte d’assomption et de consentement.
Lisez cela dans une attitude de la flexion passive - la station accroupie par exemple .
Lisez cela en pensant fortement à ceux de vos organes de préhension et vos récepteurs sensitifs qui se trouvent à l’extrémité de vos membres supérieurs.
Lisez cela en observant votre pouce, mieux développé et situé plus bas que celui des singes.
Lisez cela en observant votre pouce, qui s’oppose aisément à la pulpe des autres doigts pour former la pince paucidigitale.
Lisez cela en pensant, Monsieur, que votre urêtre s’ouvre normalement sur le versant supérieur d’une dilatation terminale de la verge, le gland.
Lisez cela en éprouvant, Madame, un vague désir de vous accomplir dans le langage pour y chercher un bien qui demeure hors de votre portée au sein de la réalité.
Lisez cela en prenant pleinement conscience que les années 1960 furent marquées par la mode de la moquette et la montée du design international.
Lisez cela en imaginant des hommes et des femmes parés d’un fil de coton attaché autour de chaque mollet et des poignets
Lisez cela en prenant conscience que beaucoup de vos comportements réputés instinctifs dépendent en réalité de mécanismes qui font intervenir le cortex cérébral.
Lisez cela en sentant une vague douleur dans les cervicales.
Lisez cela en sentant votre langue reposer dans votre bouche.
Lisez cela en étant partagé entre le désir d’arrêter cette lecture et de poursuivre cette lecture.
Lisez cela en sentant combien, à la lecture de ce que vous lisez, la filtration, l’amoindrissement, la modification, le masquage ou l’exacerbation de régulations hormonales et d’influences nerveuses profondes suscitent en vous des comportements contradictoires.
Lisez cela en sentant combien un écheveau de conduites micro-agressive servant de canal à une pulsion sexuelle qui n’est pas parvenue à s’exprimer par les voies normales de l’économie sexuelle et que l’on appelle abusivement la curiosité vous a tenu jusqu’à la fin de ce texte.
Lisez cela en prenant pleinement conscience que ce comportement étrange est ce que l’on pourrait appeler la liberté.
Une bien étrange liberté.
Jean-François Paillard © 2009
jeudi 4 juin 2009