ainsi 1
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Ainsi / 1
Ainsi, je ne sais pas si vous oui, mais moi non. J’essaie pourtant plusieurs fois par jour, mais non. À dire vrai, je n’essaie pas de contrer en moi le non. Le non me vient si spontanément maintenant que non. Le non s’immisce tellement en moi que non. Dans ma gorge, ce bas morceau de non. Je ne contre plus le non qui emplit le tuyau bas de mon cou en une épaisse tranche de non. Je laisse passer ce non en me soulageant de ce non. Je vais avec le non. Je contre par le non. Ce qui vient et va en moi, c’est le non. Je laisse poindre et exister ce non. Le non m’est devenu si naturel que non. Le non m’est devenu si consubstantiel que non. Je ne lutte plus contre l’omnipotent non. Je m’abandonne au non. Secouant ma hure, je dis non. À quelque explication qui soit, j’expectore non. Je ne vois le monde qu’à travers une salve de non. Il m’en faut des montagnes de friselis pour que je ne dise pas non. D’encre sympathique, de bonheur égoïste d’expectation jouisseuse pour que je ne m’abandonne pas au non. Car à l’œil ou l’oreille, je ne vois et n’entends que sujets à dire non. Qu’intentions justifiant d’asséner le non. Non, je ne marche pas. Je dis non non et non. Non, je dis. Et je sens poindre derrière ce mot un possible non.
Ainsi pas un matin qui vaille sans une liste. À chaque jour sa liste de tâches enchaînées. À chaque tâche sa liste d’actions enchaînées. À chaque action sa liste de mouvements enchaînés. Pas une semaine sans une liste. Pas un mois sans une liste. Pas une vie sans sa liste.
Ainsi je vais coucher ce texte à. Il me faut dégorger ce texte à. Ce texte doit être rendu à la réalité de. Ce flux de mots doit sortir son corps entier par ma. Ce texte doit se rendre à ma réalité.
Ainsi ce non-dit-là m’est comme un caillou dans la chaussure. Ce non-dit-là pareil au vôtre qui est que chaque fois que j’entends Tout, vient la pensée que je ne fais pas partie du Tout. Être hors Tout comporte l’avantage d’être hors de portée de ceux qui ont pour rôle de critiquer le Tout. Mais l’absence de voix audible étant consubstantielle à la périphérie du Tout, l’inconvénient du hors Tout, est d’être inaudible, c’est-à-dire réduit au rien. Ce non-dit-là est en soit un Tout.
Ainsi s’accrocher au sens comme la pince mord le linge au fil. Tordre la phrase pour la rendre ni assez droite ni assez oblique. La placer dans cet entre-deux indécidable qui titille l’arrière crâne, énerve, suscite le désir de poursuivre - mais cette vaine fatigue que l’on anticipe... Pour constater que rien, au bout du compte, n’a accroché.
Ainsi, chaque fois, tout reprendre depuis le début. Tout gommer, jusqu’au dernier mot à écrire. Jusqu’à la dernière lettre. Tout faire en même temps. Tout abandonner en cours de route. Tout écrire à l’envers. Tout finir avant de commencer. Tout dévoiler avant de raconter. Tout dire. Tout perdre au fur et à mesure. Tout écrire comme on tisse : par paquets et par la fin.
Ainsi agir comme un homme qui aurait la main gauche soudée au bras droit, ses deux pieds épousant la même jambe. Et qui se hâte et prend plaisir à se hâter. Sa main gauche étonnamment agile. Son double pied frappant plus fort le sol raisonneur. Ainsi parvenir à constamment se rajeunir.
(à suivre)
texte et images Jean-François Paillard © 2009
(c) jfp