inegalites 1
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identités/ inégalités
questions autour de la discrimination positive
J’avais écrit ces petits textes pour l’excellent Philosophie Magazine qui n’a pas pu les publier. Je tiens à les diffuser, car il me semble qu’ils pourraient contribuer à aborder une question complexe et terriblement piégée. Volontairement resserrés et fragmentaires, ces textules ne prétendent à rien d’autre qu’à vous inviter à amorcer une réflexion qui, avec l’aide des liens, se poursuivra ailleurs que dans ces pages ... Jean-François Paillard.
QUESTION 1 d’où vient l’idée de la discrimination positive et que cache-t-elle?
Dans son Éthique à Nicomaque (-345/-335 av. J.C.), Aristote préconisait déjà qu’un « correctif de la justice légale » pût être envisagé au nom de l’epikie – un terme pouvant être traduit par le terme d’« équité ». « La raison en est que la loi est toujours quelque chose de général et qu’il y a des cas d’espèce pour lesquels il n’est pas possible de poser un énoncé général qui s’y applique avec rectitude », plaide-t-il dans le chapitre V de l’Ethique consacré à « la vertu de justice ».
La «discrimination positive» poursuit ce même raisonnement, qui conduit à accorder un traitement préférentiel à une population-cible, au nom du principe d’équité : « A la différence du socialisme, pour qui c’est avant tout l’égalité de ressources qui est l’objectif, ce principe d’équité - « fairness » pour reprendre l’expression du philosophe John Rawls - est au cœur de la pensée libérale », nous dit Catherine Audard, professeur de philosophie à la London School of Economics et auteur de Qu’est-ce que le libéralisme ? (Gallimard).
Dans les faits, il existe deux types de discrimination positive.
Le premier désigne des actions ayant pour but de réparer les effets de l’exclusion raciste et/ou sexiste. Celles qui sont menées aux Etats-Unis depuis les années 1960 sous le nom d’affirmative action relèvent de cette catégorie : « Afro-américains », «Hispaniques» ou descendants de populations autochtones (« Native Americans ») y font l’objet de mesures visant à les aider à rattraper un « retard » dans tel ou tel domaine. En matière d’éducation, notamment. Des quotas de places sont par exemples réservés dans les établissements universitaires à ces groupes dits « ethniques ». Ces mesures sont-elles équitables ? Catherine Audard en doute : « Celles qui facilitent l’embauche ou l’admission à l’université de populations discriminées grâce à la formation, aux bourses ou au tutorat sont parfaitement compatibles avec l’exigence d’équité prônée par la pensée libérale, mais les politiques de quotas par l’ajout de points supplémentaires aux scores des candidats désavantagés ou par l’imposition d’une parité hommes-femmes ne le sont pas. » L’efficacité d’une telle politique est pareillement discutée : « Symbole de l’émergence d’une classe moyenne supérieure « noire », l’ancien secrétaire d’Etat américain Colin Powell affirme qu’il n’aurait jamais pu devenir général sans l’affirmative action, mais les « Blancs » appartenant aux classes moyennes se disent floués par un système qu’ils estiment inéquitable », estime par exemple le sociologue Eric Keslassy, dans une étude consacrée au sujet : Tous égaux ! Sauf…, avec Martine Véron, Le Cavalier Bleu. « Beaucoup de membres des « minorités visibles » souhaitent l’abolition de ces mesures qui jettent le discrédit sur leur mérite », conclut-il.
Une tout autre politique est celle qui consiste à fonder le traitement préférentiel de populations-cibles sur des critères socio-économiques, sans se référer à un caractère soi-disant «inné» ou «culturel» - en d’autres termes essentialiste, pour ne pas dire raciste.
La France mène ce type d’actions dans quatre domaines : la représentation politique, avec la parité, l’éducation, avec l’établissement de Zones d’éducation prioritaire, la politique de la ville, avec la constitution de zones Franches urbaines et la redistribution, avec l’attribution de prestations sociales en fonction du revenu, de la situation familiale etc. Mais là encore, l’efficacité de ces mesures n’est pas claire : « permet-elle de renforcer la cohésion sociale ou génère-t-elle une société d’assistés? », se demande le sociologue Eric Keslassy. Lui même se garde bien de répondre...
jeudi 18 mars 2010