interlude Papon
interlude Papon
mercredi 16 décembre 2009
Procès Papon :
la France vichyssoise
devant ses juges
1/ les faits
“Le degré de responsabilité augmente en général à mesure que l’on s’éloigne de l’homme qui manie l’instrument fatal de ses propres mains”, extrait du jugement du tribunal de Jérusalem,
in Eichmann à Jérusalem, Hannah Arendt.
Puis vient la Libération...
Maurice Papon n'est pas inquiété. Mieux: il est officiellement entré dans la résistance le 1er janvier 1943, comme membre du réseau Jade-Amicol, ce que certains contestent aujourd'hui. C'est Roger Bloch, un des dirigeants de ce réseau hébergé fin 1943 à quatre reprises par Maurice Papon, qui le recommandera auprès du commissaire de la République clandestin Roger Cusin. Ce dernier nommera Maurice Papon préfet des landes. Il y restera en fonction jusqu'en octobre 1945, avant de poursuivre une carrière qui le mènera jusqu'au poste de ministre du budget du gouvernement Barre d'avril 1978. Cette nouvelle charge le place-t-il trop “à découvert”?
Trois ans plus tard, le scandale éclate. A quatre jours du second tour de l'élection présidentielle, Le Canard enchaîné affirme que Papon a autorisé et contrôlé la déportation de plusieurs centaines de Juifs étrangers et français. Derrière ces révélations, il y a Michel Slitinsky. L'homme est un miraculé. Quand le 20 octobre 1942, les policiers frappent à la porte du 3, rue de la Chartreuse à Bordeaux, le jeune homme de 17 ans, fils d'un couple ukrainien s'échappe par les toits. Son évasion figure d'ailleurs dans les rapports officiels. Dés la parution de l'article, Maurice Papon dénonce “une manoeuvre électorale de dernière heure”. Il décide de s'en remettre à un jury d'honneur, composé de cinq “résistants authentiques”. Si ces derniers affirment que des poursuites pour crime contre l'humanité sont injustifiées, ils concluent: “M. Papon aurait dû démissionner de ses fonctions au mois de juillet 1942”.
Le 8 décembre 1981, quatre plaintes sont déposées par des parents de victimes de déportation. Beaucoup d'autres suivront. Mais la justice traîne les pieds. Pire : l'enquête est arrêtée nette en février 1987, date à laquelle la cour de cassation annule la quasi-intégralité des actes de procédure. Motif? Dès l'apparition du nom de l'ancien préfet Robert Sabatier, le juge Nicod, chargé de l'enquête, aurait du lui transmettre le dossier. Nonagénaire, Robert Sabatier décède en 1990 non sans avoir déclaré “assumer l'entière responsabilité de la répression anti-juive” dans le ressort de sa préfecture. La procédure est reprise par la chambre d'accusation de Bordeaux. “Sans préjuger de sa culpabilité”, elle rend le 27 juin 1996 un arrêt à l'encontre de Maurice Papon que la Cour de Cassation valide le 23 janvier 1997. 16 ans après le dépôt des premières plaintes, le procès peut enfin commencer...
(à suivre)
Texte et dessin Jean-François Paillard / ©1997-2009
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(1) Quelques lectures éclairantes et bien souvent bouleversantes sur le sujet de la participation d’individus ordinaires à la “Solution Finale” :
Hanna Arendt, Eichmann à Jerusalem, Folio Histoire
Rony Brauman et Eyal Sivan, Eloge de la désobéissance, Le Pommier
Christopher R. Browning, Des Hommes ordinaires, Les Belles Lettres
Daniel Goldhagen, Les bourreaux volontaires de Hitler, Points Seuil
Vient de paraître :
Didier Epelbaum, Obéir. Les déshonneurs du capitaine Vieux, Drancy, 1941-1944, Stock, 2009
(2)Voir par exemple :
> Danièle Lochak: La doctrine sous Vichy ou les mésaventures du positivisme
...Il y a bien fallu par ailleurs des rédacteurs à ceci :
> Décret du 6 juin 1942 concernant les Juifs
> Le premier statut des Juifs (Octobre 1940)
> Le deuxième statut des juifs (Juin 1941)
(3)Les Lois racistes de Vichy :
Selon la LOI DU 3 OCTOBRE 1940 PORTANT STATUT DES JUIFS (adoptée rappelons-le, trois mois après le vote des pleins pouvoirs à Pétain - J.O. du 18 octobre de la même année), était considérée par le gouvernement de Vichy comme “Juif” : “toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif.” Cette Loi de 1940 a été remplacée le 2 Juin 1941 (JO du 14 Juin) par une seconde Loi raciste qui dispose, je cite : “Est regardé comme Juif : 1° Celui ou celle, appartenant ou non à une confession quelconque, qui est issu d'au moins trois grands-parents de race juive, ou de deux seulement si son conjoint est lui-même issu de deux grands-parents de race juive. Est regardé comme étant de race juive le grand-parent ayant appartenu à la religion juive ; 2° Celui ou celle qui appartient à la religion juive, ou y appartenait le 25 juin 1940, et qui est issu de deux grands-parents de race juive. La non-appartenance à la religion juive est établie par la preuve de l'adhésion à l'une des autres confessions reconnues par l'État avant la loi du 9 décembre 1905. Le désaveu ou l'annulation de la reconnaissance d'un enfant considéré comme Juif sont sans effet au regard des dispositions qui précèdent.”