Procès Papon :

la France vichyssoise

devant ses juges...




2/ le procès

   8 octobre 1997. Le tribunal de Bordeaux fait salle comble. Face à Maurice Papon trônent le procureur général Henri Desclaux et l'avocat général Marc Robert, grand connaisseur de l'administration sous Vichy. A sa gauche sont assis une vingtaine d'avocats des parties civiles, parmi lesquels le très médiatisé Arno Klarsfeld qui se rend au tribunal en patins à roulettes, et trois "piliers" du dossier: Mes Gérard Boulanger, Michel Zaoui, et Alain Levy. Maurice Papon est flanqué d’un jeune avocat de 29 ans, Francis Vuillemin. En contrebas, est assis le second avocat de la défense, Me Jean-Marc Varaut. Plus loin, à gauche encore, derrière la foule des parties civiles d'où émaneront régulièrement les exclamations de Michel Slitinsky et Maurice-David Matisson, les deux hommes qui ont initié la procédure, se tient le public, essentiellement composé des familles des victimes. Plus haut, au niveau des écrans où seront projetées les pièces du dossier, quarante journalistes se serrent au “poulailler”. Au milieu de la salle s’étale le dossier. Un "monstre" de 30 000 pages que manipulera un appariteur. Enfin, à la droite de l'accusé, trône le président Jean-Louis Castagnède, en col d'hermine. Il est entouré de quatre assesseurs et des neuf jurés populaires. 
    De ces neuf jurés, cinq hommes et quatre femmes, aucun n'a vécu les années noires de l'occupation. Six d'entre eux ont moins de 40 ans. Il y a là un vendeur, un électrotechnicien, un comptable, un employé, un chef du personnel. Le plus jeune est un maître auxiliaire de 25 ans. Que retiendront-ils de ce procès-marathon, auquel ils seront associés pendant de longs, d'interminables mois? Le mini-scandale, qui éclatera au deuxième jour du procès, lorsqu’à la suite de l'habile dramatisation de l'état de santé de Maurice Papon orchestrée par Me Varaut, la cour ordonna sa mise en liberté, celui-ci pouvant désormais “comparaître libre”? Le calme apparent de Maurice Papon au cours de la lecture du très long acte d'accusation? La façon quasi-rituelle avec laquelle il placera méthodiquement sur le pupitre de son box, à chaque début d'audience, son sous-main en cuir, ses piles pour "Sonotone", ses blocs note, ses chemises cartonnées, ses lunettes à monture d'écaille? Sans nul doute se souviendront-ils longtemps des suspensions répétées des audiences dues aux problèmes de santé récurrents de l'accusé. Elles feront de l'affaire Papon le procès le plus long que la France ait jamais connu. Qu’auront-ils retenu des interminables plaidoiries de certains avocats, de leurs querelles picrocholines, de leurs “effets de manche” devant les caméras. Garderont-ils pareillement en mémoire certaines récupérations médiatico-politiques? La façon dont à la fin octobre, le président du RPR profita du procès pour défendre le gaullisme et mobiliser ses troupes à l'approche des élections régionales, par exemple?             


(la suite en haut à droite)
http://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9rard_Boulangershapeimage_4_link_0

   Le procès d’un “fonctionnaire français”

    Que retiendront les jurés de “l'exceptionnelle leçon d'histoire” appelée de ses voeux par le président Castagnède? Le défilé impressionnant, interminable de fonctionnaires, d'anciens ministres, de résistants appelés à la barre, chacun insistant peu ou prou sur le chaos de 1940, le désaroi d'une population affamée, privée de tout? Les explications, parfois laborieuses mais toujours éclairantes, des historiens Robert Paxton, Jean-Pierre Azéma, Marc-Olivier Baruch, ou Michel Bergès - ce dernier, après avoir contribué à alimenter le dossier à charge, affirmant dans une curieuse volte-face que Papon jouait à Bordeaux un “rôle secondaire”? Tous insisteront sur la respon-sabilité de Vichy dont les lois “anti-juives” (voir page précédente) auraient “anesthésié les fonctionnaires”. Les jurés noteront-ils également l'application, la minutie, l'entêtement même, avec lesquels le président Jean-Louis Castagnède, totalement oublieux du temps, alignera les nombreux documents d'archives et disséquera les paroles de l'accusé, afin de tenter de démontrer la prépondérance du service des questions juives de la préfecture dès les premières arrestations de juillet 1942? A la mi-décembre, après deux mois d'audience, viendront les premiers noms, les drames personnels, les témoignages des rescapés et de leurs familles, sobres et poignants. Parfois déchirants. “Je m'incline avec respect devant M. Librach”, dira Maurice Papon à l'issu du récit du cousin de Léon Librach, transféré à Drancy, sur son ordre. Dés les premiers jours, Me Jean-Marc Varaut plaidera l'acquittement. Sa ligne de défense ne variera plus d'un pouce: “Comment condamner un homme qui a obéi à la loi, alors que le gouvernement ne peut pas l'être?”. A travers le procès de Maurice Papon, celui de la haute fonction publique du gouvernement de Vichy se dessinera peu à peu. “J'étais un intermédiaire”, un “rouage”, “j'ai agi sur ordre”, répétera inlassablement Maurice Papon. Jamais il ne remettra en cause les procédures, les ordres, les règles “édictées par d'autres”. Il se contentera de leur trouver une “diligence inopportune”. Un fonctionnaire est-il respon-sable pénalement de ses actes? “Mieux valait alimenter les fichiers, répondra-t-il curieusement un jour, que laisser les gens dans l'illégalité se laisser ramasser par les allemands”. L’illégalité... Au fond, cet homme de 87 ans, qui, malgré son état de santé précaire, se défendra pendant des mois  avec la dernière énergie; cet homme hautain, cassant, attentif, ergotant sur un point de droit, une peccadille, ne fait-il pas un coupable idéal? Ce sera aux jurés de puiser dans leur intime conviction pour le dire. Ils ne jugeront ni Klaus Barbie, ni René Bousquet, mais un fonctionnaire. Un fonctionnaire moyen, ordinaire et zélé. Trop zélé? Tard dans la journée, alors que tout le monde est parti, on rapporte que Maurice Papon s'attarde souvent dans la salle des assises, annotant ses dossiers de sa belle écriture ronde. Verdict au printemps 1998...


(à suivre)


Texte et dessin Jean-François Paillard / ©1997-2009

L'homme


L'avant guerre


- 3 septembre 1910: Naissance à Gretz, Seine et Marne

- 1924-1929: Elève à Louis-le-Grand, Paris

- Mai 1935: reçu au concours de rédacteur au ministère de l'intérieur

  1. -Juin 1936- Mars 1938: attaché au cabinet du sous-secrétaire d'Etat à la présidence du conseil (gouvernements Blum et Chautemps)


La guerre


- 1939-1940: Mobilisé au 2ème régiment d'infanterie coloniale. Puis affecté comme sous-chef de bureau à l'administration centrale.

- Février 1941: Sous-préfet de première classe

- Mai 1942: Secrétaire général de la préfecture de Bordeaux et directeur de cabinet du préfet Sabatier.


Juillet 1942: Premières rafles effectuées par la police française sur ordre des autorités allemandes. Au total, 76000 des 300000 juifs de France seront déportés entre juillet 1942 et mai 1944.


- Août 1944: Préfet des Landes et directeur de cabinet du commissaire de la République nommé par le gouvernement provisoire.


L'après-guerre


- Octobre 1945: Chargé de mission à la sous-direction de l'Algérie au ministère de l'intérieur.

- Janvier 1947: Préfet de la Corse

- Octobre 1949: Préfet de Constantine

- Octobre 1951: Secrétaire général de la préfecture de Police de Paris

- 1954-1958: Nouvelles missions à Constantine, en Algérie, au Maroc.

- Mars 1958- janvier 1967: Préfet de Police de Paris

- Janvier 1967: P-D-G de Sud Aviation.

- Juin 1968, député UDR (droite gaulliste) du cher. Réélu en 1973 et 1978

- Avril 1978- mai 1981: ministre du budget du 2ème gouvernement Barre


L'affaire



- Mai 1981: Révélations de l'hebdomadaire Le Canard Enchaîné.

- Décembre 1981: un jury d'honneur estime que Maurice Papon aurait dû “démissionner de ses fonctions en juillet 1942”. Dépôt des premières plaintes de parents de déportés.

- Janvier 1983: Inculpation de Maurice Papon pour crimes contre l'humanité.

- Février 1987. La Cour de Cassation annule une partie de l'instruction pour vice de procédure.

- Juillet 1988: Inculpation de Maurice Papon pour crimes contre l'humanité.

- Octobre 1990: Nouvelle inculpation pour crimes contre l'humanité.

- Juin 1992: Troisième inculpation pour crimes contre l'humanité.

- Décembre 1995: Le parquet général de la chambre d'accusation de la cour d'assises de Bordeaux requalifie l'inculpation en “complicité de crimes contre l'humanité”.

- Septembre 1996: la cour d'assises de Bordeaux est déclarée compétente pour juger Maurice Papon.

- Octobre 1997: début du procès.


13 octobre: l'accusé obtient de comparaître libre au procès.