Boîtes



Après une dizaine d’heures de vol souterrain

Nous enterrîmes en un lieu de sélection drastique

Curieusement, je passai inaperçu :

Les chiens n’ont pas d’âme

ricana un douanier de la mort

se signant

crachant à terre

allez ! passe au large !

et va quérir ton os misérable ailleurs

car

seuls les médecin-major au teint de rose

les contrôleurs de gestion franglais

les phynancières bataves, les marketeuricaines

les employé(e)s au petit pied

les grands et les petits convoiteurs des choses humaines

qu'on s'approprie avec joie

que l’on presse sur son sein gauche

qu’on offre au regard du voisin bordure

avant de les jeter aux ordures

et qui occupent ces maisons de cube

empilées par la queue comme les amphores  au fond du navire 

ont le privilège de passer le portillon

ils y abandonneront

Leurs cravates serpent

Leurs glaives à longue pointe

Leurs montres et leurs bottes

Leurs bacilles de Koch

Leurs fichus problématiques

Qu’ils soient chrétiens, bouddhistes musulmans ou confucéens

Athées, zoroastriens ou mal débarbouillés

importe peu 

démocratie oblige

Ici tous hommes et femmes ont le privilège

En vertu de la charte de l’Argus Humanitaire

De passer le portillon

Mais les chiens ah ! non non

Ils passent par derrière

Ils se trouvent un chemin

Eux-mêmes

Seuls les têtes de césure, les faiseurs de lexique

Les banquiers nomades et leurs scribes comptables de l’esthétique industrielle

Qui transforme le monde

En foire à la ferraille

En montagnes que je dois empiler

Agrémentées de lacs de pétrole

De plaies ouvertes gorgées de fongicide

Tous ont le privilège de passer le portillon

Mais les chiens ah ! non non

Ils passent par derrière

Ils n’ont point besoin de cette chimère

Seuls les exécuteurs

Les testamentaires

Les bras de chemisier déguisés en agent orange

Les métaphysiciens de la tour Elf à la défense

Les militaires, les méta militaires

Les porteurs de titre

Tous ployant sous le joug des obligations journalières

Ont le privilège de passer le portillon

Mais les chiens ah ! non non non non

Ils passent par derrière

Ils se trouvent un chemin en enfer ou au paradis

par eux-mêmes

Toi, toi pauvre chien

Toi passe ton chemin

Car tu n’as rien et tu n’es rien

Tu n’es rien de toutes ces propriétés éminemment humaines

Tu n’es rien

Vois

Vois comme on met en boîte toutes ces petites choses

Leurs cravates serpent dans une boîte

Leurs glaives à longue pointe dans une boîte

Leurs montres et leurs bottes mis en boîte

Boîte que l’on empile en murs de boîtes

Leurs bacilles de Koch mis en boîte

Leurs fichus problématiques mis dans une boîte

Leurs bouteilles en plastique à mettre en boîte

Boîte que l’on empile sur d’autres boites

Leurs colliers especiaux mis en boîte

Leurs chaussures en fer mis en boîte

Leurs chaînettes vertueuses à mettre en boîte

Boîte que l’on empile sur d’autres boîtes

Leurs grosses têtes d’os mis en boîte

Leurs boucles de nombril en boîte

Leurs bacilles de koch mis en boîte

Boîte que l’on empile sur d’autres boîtes

Leurs sifflement de psylles en boîte

Leurs tableaux de bord en boîte

Leur ipod itouch iscotch I C Top en boîte

Boîte que l’on empile sur d’autres boîtes

Leurs sifflement de psylles en boîte

Leurs tableaux de bord en boîte

Leur ipod itouch iscotch en boîte

Boîte que l’on empile sur d’autres boîtes

Ipod itouch iscotch iboîte !

Leurs élymes à racines traçantes en boîte

Qui font la beauté de la maison en boîte

Leurs bibles et récits sacrés en boîte


Oké oké  j’ai compris douanier de la mort

Ces gens obéissent à la mise en boîte

Mais à la fin que deviennent ces boîtes ?


Pauvre chien aux joues mangées

Tu me fatigues

Ne vois-tu pas que je travaille?


Dis-moi Dis-moi douanier de la mort,

que deviennent ces boîtes que tu empiles ?


mais d’où sors-tu imbécile ?

Ces boîtes sont des réceptacles à ordures

ces sont les corbillards de l’ennui

elles sont là pour accueillir

les déchets

dont l’homme

se débarrasse

avant de pénétrer dans le grand bazar aux objets

objets qui seront à leur tour

les futurs déchets

dont l’homme se débarrasse

avant de pénétrer dans le grand bazar aux objets

objets qui seront à leur tour

les futurs déchets

dont l’homme se débarrasse

avant de pénétrer dans le grand bazar aux objets

en les mettant en boîte

Dans ces corbillards de l’ennui, te dis-je

Et ma tâche absurde est de les empiler en montagnes

A jamais ma tâche est ainsi assignée

de les empiler en montagnes

A jamais

ma tâche est ainsi assignée

de les empiler en montagnes

et ma tâche

absurde est de les empiler en montagnes

A jamais ma tâche est ainsi assignée

de les empiler

en montagnes ainsi ma tâche est de les empiler

En montagne ma tâche absurde à jamais est ainsi

assignée

De les empiler en montagnes

A jamais...


(c) Jean-François Paillard 2009