un heros 3 sasseoir
un heros 3 sasseoir
Un héros / 3 / S’asseoir
Bon, je la pose là ? m’avait demandé mon père. Nous étions ce jour-là dans mon bureau. Une pièce qui ne le laissait jamais indifférent. Lui arrachant d’entrée une remarque élogieuse ou blessante. Selon l’humeur du moment. Mon père était de ceux qui se rassurent en assujettissant le monde à leur impétueux jugement. Le voulant constamment réduire à leur vertigo. Lui taillant souvent un costume clinquant, de mauvaise coupe, prétentieux. Sujet à raillerie. Ce jour-là, le monde était au gré de mon père. A son goût, donc, ce bureau que j’avais installé sous les combles aux vastes poutraisons d’une bicoque à un étage, que je louais : Tiens ! Jolie cette solive qui porte ces chevêtres, avait-il lâché en entrant. Ah ! Tu as vu ? elle est signée par le compagnon qui a monté la charpente. Regarde-moi ces tenons…, avait-il poursuivi. Ces mortaises… Cette enture oblique en trait de Jupiter. Levant la tête : bel espace, lumineux... Puis, revenant à la boîte qu’il tenait dans ses mains : Bon, je la pose où ?
Une autre fois, il l’aurait trouvé trop sombre, ce bureau. Froid. Glacial même. A moins qu’étouffant. Suffocant. Une étuve. A moins qu’humide. Trop vaste à tous les coups. Toute cette place perdue. Tu y as pensé ? Passant le bout de son index sur une étagère : nid à poussière. Pointant une pile d’objets : tu appelles ça rangé ? Faisant mine de se cogner à la lourde table de ferme qui me sert de bureau : mastoc ! Secouant la tête : sacré foutoir en vérité. Haussant les épaules : fallait-il, au fond, s’attendre à autre chose ? Qu’à ce manque de sérieux. De rigueur. D’anticipation. Preuves, s’il en est d’une vie qui va à vau l’eau. Non ? Sans parler de l’isolation. Phonique. Thermique. De l’absence. Au fond. Dans cette affaire. J’ai le regret de le dire si abruptement. D’un bureau. Tout simplement. D’un vrai bureau, j’entends. Une pièce correctement chauffée. Correctement éclairée. Dotée de véritables meubles de rangements. D’un fauteuil de bureau qui en soit un, par exemple. D’une ou deux chaises pour les visiteurs. Et d’abord où s’assied-on ici ?
Mais non. Pas ce jour-là. Ce jour-là, mon père était de bonne humeur. Je la pose là ? répétait-il. Il parlait de cette boîte. Qui paraissait passablement lourde. Dis-moi seulement où je la mets. Son dos courbé. Ses bras légèrement tremblants. Ce corps déjà bien affaibli qu’il avait hissé non sans mal à l’étage par cet étroit escalier. Un escalier de meunier qu’il eût trouvé un autre jour trop raide, mal conçu, dangereux. Je la pose là ? Mon père faisant preuve d’une patience exemplaire devant ce fils qui tardait à lui répondre, comme par réaction. Ce qu’elle contient devrait t’intéresser, m’assura-t-il en posant la boîte sur la table de mon bureau. J’allais lui demander qu’il la mette ailleurs, cette satanée boîte. Quand je m’avisai que mon père avait employé le conditionnel. C’était déjà mieux, ça. Cela devrait t’intéresser. Peut-être ferai-je l’effort de l’ouvrir un jour cette boîte. Après tout. Cette boîte lustrée par la vieillerie. Un jour que je n’aurai rien d’autre à fiche.
(à suivre)
samedi 20 mars 2010
un
héros
jean-françois paillard
Chant premier : Encheirogaster
Ut Cyclopea euersa manibus saxa nostris concidant…